Comment ?
Depuis plus de 50 ans maintenant, les sœurs de l'abbaye de Jouarre travaillent l'argile. Un vaste atelier rassemble les compétences de la moitié de la communauté. Les ateliers proprement dits sont situés au 1er étage du corps de bâtiment du 18e siècle, qui enjambe la rue Montmorin.
Pour la fabrication des santons, de multiples phases sont nécessaires et successives ; chacune d'elles demande une parfaite maîtrise technique. Chaque sœur est responsable de la qualité de son travail, à sa place dans la chaîne de fabrication. Dans la Règle de Saint Benoît le travail manuel est une valeur en soi, qui favorise le labeur intérieur de la prière et de l'union à Dieu. Il est aussi un moyen privilégié de s'apprivoiser soi-même en douceur.
La céramique est un travail silencieux, parfaitement accordé avec notre propos de vie contemplative. Lorsque nous ne sommes pas "dans notre assiette", le travail de la terre en porte immanquablement la marque… On ne ment pas à l'argile.
Considérons la naissance d'un santon.
Au départ il faut une idée – et un modèle. Nous procédons de manière collégiale : les sœurs qui ont un projet le façonnent à la main. En réunion d'atelier nous regardons ensemble ces prototypes et délibérons de leur apport au niveau spirituel, symbolique et esthétique. Quels sont nos critères ? Est-ce que ce santon est signifiant pour notre foi chrétienne ? Apporte-t-il une couleur ou une forme s'intégrant harmonieusement bien à l'ensemble ? Porte-t-il un message durable, au delà d'une simple mode passagère ?
Un santon retenu sera ensuite simplifié ou épuré. Pourquoi ? Ce n'est pas simplement dans un but de fabrication en série, mais d'abord et surtout parce que Dieu est simple ; la Nativité est un message de simplicité et nos crèches restent volontairement naïves et épurées. Dans un santon, le message doit se lire immédiatement. Une seule idée doit se lire sur un santon. Et nous évitons farouchement la facilité et la vulgarité.
Ensuite, à partir de ce modèle en terre, nous allons fabriquer un moule de plâtre. Cela servira de matrice pour réaliser le moule d'estampage en série. Selon les crèches, une nouveauté sera reproduite et vendue dans l'année entre 200 et 900 exemplaires. Mais le 900ième sera aussi soigné que le 1er. Les sœurs ne bradent pas leur travail. Il n'y a pas de "prix de gros", parce que chaque pièce est unique et ouvragée pour elle-même.
Nous utilisons principalement deux techniques (suivant la taille et la forme des objets) : le coulage et l'estampage. Ici, concentrons-nous sur l'estampage.
La phase de moulage des santons d'argile rouge est longue – comme toutes les autres phases de la fabrication. Nous sommes de petits artisans et tout est fait à la main. Le santon est moulé, puis ébarbé, les coutures sont lissées et chaque trait est repris à l'aiguille. Vient la lente phase de séchage. On ne violente pas la terre. Rappelez-vous ! Adam lui-même a été façonné par les mains de Dieu. La Bible nous enseigne à respecter la terre et l'environnement, cet Eden qui nous a été confié comme à de bons intendants. Noblesse de la terre.
Ensuite, les personnages sont enfournés ; ils cuisent à une température plafonnant à 980°Celsius. La moindre impureté dans le corps de l'objet, la moindre bulle d'air, condamnent le santon à exploser à la cuisson. La montée en température est lente, pour permettre un séchage et une cuisson à cœur, pas seulement à l'extérieur du personnage. Les santons cuits – cela s'appelle le "biscuit" – passent alors à l'atelier d'émaillage.
Il s'agit de poser l'émail au pinceau, couleur après couleur, selon une composition qui nous est propre. Puisque le santon multicolore va cuire en une fois, il faut trouver une température de fusion identique pour chaque émail confectionné, c'est-à-dire abaisser la température de fusion de tel émail et remonter celle de telle autre, maîtriser les couleurs, transparentes ou opaques, les superpositions de coloris, fondants ou non. Ce métier exige un apprentissage assidu et … merveilleux. Quand nous nous retrouvons à la porte du four après une cuisson, nous ne sommes jamais blasées de découvrir la beauté des émaux pleins feux. Notre artisanat est un vrai cadeau, d'abord pour nous les ouvrières – puis pour les enfants auxquels nous pensons plus particulièrement à l'époque de Noël. Noël c'est la grâce de l'enfance redonnée, inépuisable, à chacun, à tout moment… si seulement nous le voulons bien.
Certains santons devront encore passer à l'atelier de peinture. On allie ainsi l'aspect brillant de l'émail à la sobriété mate, modestement somptueuse, de la peinture vinylique ou acrylique.
Les santons s'acheminent alors vers les tables de l'expédition. Expédier nos crèches est aussi un métier en soi : confier de la céramique aux services postaux demande un emballage professionnel.
Comme tout artisanat, nous consacrons un temps à la création. Ainsi les sœurs ont l'occasion de créer de nouveaux modèles, de renouveler les gammes de coloris ou de santons… et aussi de façonner des pièces uniques qui, avant d'attirer les collectionneurs, éblouissent nos yeux devant les dons que le Seigneur fait au jour le jour à chacune de nous.
La créativité est féconde et la nouveauté génératrice de joies toujours neuves.
Par qui ?
En communauté, beaucoup trouvent aux ateliers de céramique un métier adapté à leurs forces, leurs temps et leurs compétences. Ainsi, nous sommes nombreuses à participer à la production d'une manière ou d'une autre. Les pleines d'énergie moulent, les 'petites mains' peignent les 'petits B2', les sœurs de la porterie vous répondent au téléphone, tout en mettant les santons en sachet, les sœurs de l'infirmerie préparent les 'bulles' nécessaires pour la fabrication des colis,... Chacune selon sa grâce !
De plus, notre artisanat est tel qu'il nous permet de tisser des liens avec d'autres. Aujourd’hui, notre travail est partagé avec :
* Des communautés monastiques. Suivant les communautés, soit certains santons sont moulés puis acheminés chez nous, où nous les cuisons, émaillons et peignons, soit les santons y sont faits de A à Z, avant de nous être envoyés. Ainsi, nous nous soutenons les unes les autres avec les bénédictines de Jésus Crucifié du prieuré saint Joseph à Brou sur Chantereine (77), les cisterciennes de Notre Dame du Rivet à Auros en Gironde (33) et les olivétaines de Notre Dame St Eustase d'Eyres-Moncube (40)
* Une ermite qui aime à donner un nom à chacun des santons qu'on lui confie. Par exemple : le boulanger se nomme François en référence au Pape (car il a une calotte blanche, des chaussures rouges, le tablier du serviteur et il donne le pain...) ; les enfants de la paix s'appellent Ambroise et Augustin ; la maman et sa fille sont Zélie et Thérèse....
* Des auto-entrepreneurs de proximité avec qui nous sommes heureuses de collaborer et auxquels nous confions l'une ou l'autre tache.