A 70 km à l'Est de Paris, Jouarre est assise sur le plateau de Brie, au confluent de deux vallées, la Marne et le Petit Morin. "Jouarre" est un nom d’origine celtique, Jotrum, qui signifierait citadelle lumineuse. L'habitat remonte ici aux temps les plus reculés, une occupation gallo-romaine est attestée et peut-être un temple dédié à Jupiter.
Les débuts
Au 7e siècle, saint Colomban, moine irlandais, passe d'Irlande en Italie. Vers 610, il s'arrête à Ussy-sur-Marne chez Authaire, chancelier de Dagobert 1er et riche propriétaire terrien. Il bénit les trois fils de la maison, chacun fondera un monastère dans la région : Adon à Jouarre en 630, Dadon (futur saint Ouen évêque de Rouen) à Rebais et Radon à Reuil en Brie. Rebais et Reuil disparaissent à la Révolution de 1789.
Aujourd'hui on s'accorde à penser que, comme à Faremoutiers et ailleurs, la propriété et le terrain appartenaient à Adon qui les aurait dédiés directement à devenir un monastère de femmes, (car il y avait de grands besoins d'asile pour des esclaves affranchies et une grande soif de spiritualité de la part de femmes cultivées dans la mouvance de Colomban via Luxeuil.) Adon, lui-même de sensibilité proche de Luxeuil, ses métayers, et sans doute quelques "pieux laïcs" amis bénévoles se seraient installés à proximité de la communauté
un peu comme des régisseurs pour entretenir et gérer les terres et assurer l'accueil des pélerins et autres routards de l'époque. L'abbaye a une grande vitalité spirituelle et fonde à Soissons et à Chelles.
Du VIIIème au XIIème siècle
Nous savons peu de choses des 8e et 9e siècles.
Les annales gardent la trace des activités caritatives de l’abbesse Ermentrude, vers 840.
Elle organise la culture des terres sur le plateau,
suscite la création du premier hospice pour soigner les lépreux, la "maladrerie", un asile pour les pauvres, la "pitancerie", et même un accueil pour les truands, la "trumanderie".
L'abbaye vit également une époque de prospérité spirituelle.
Pour maintenir les abbayes sous sa gouverne, Charlemagne impose la Règle de Saint Benoît dans tout son empire. Jouarre, qui suivait une Règle mixte entre celles de Colomban et de Benoît, s'aligne immédiatement. En 847 des reliques de saints sont offertes à l'abbaye, elles sont enveloppées dans des tissus précieux venus d'Orient. Les reliques drainent les pèlerins qui viennent vénérer les saints.
Mais l'abbaye est ravagée par les Normands, ces fameux Vikings qui remontent la Marne en 888. Les moniales s'exilent en Bourgogne. Le monastère est relevé au 10e siècle et connaît une période de grande vitalité. Dans les années d'épreuve du 10e siècle on note la première mention du Pèlerinage des Saintes Reliques, pour implorer la miséricorde du Seigneur. Ce pèlerinage a subsisté et actuellement il a lieu le lundi de Pentecôte.
L'insécurité des temps amène le Bourg de Jouarre à fortifier ses murs et à s'entourer d'une enceinte. A la fin du 11e siècle est élevée La Tour, d'abord clocher de l'église carolingienne, puis tour de guet et poste de défense pour les populations alentour. Cette Tour sera arasée d'un demi-étage au lendemain de la Révolution.
Du XIIème au XVIème siècle
Au 12e siècle, Jouarre se constitue peu à peu en véritable seigneurie ecclésiastique et en vraie puissance féodale. L'abbaye protège son scriptorium. Un évangéliaire témoigne de l'art des copistes. Les abbesses ont droit de juridiction sur le temporel comme sur le spirituel. Elles font tenir foires et marchés, elles rendent la justice et nomment les curés.
En 1131 le pape Innocent II, mandé par saint Bernard, s'arrête à l'abbaye pour régler un litige ecclésiastique et il y convoque un Concile l'année suivante. Des différends surgissent avec l'évêque de Meaux au sujet de l'exemption, ce privilège qui permet d'échapper tant au pouvoir spirituel de l'évêque qu'au versement des bénéfices à l'évêché. L'abbaye obtiendra la reconnaissance de son exemption en 1225. Désormais elle dépend canoniquement directement du Saint Siège, ce privilège durera 450 ans.
La prospérité est anéantie en un temps record par la Guerre de Cent Ans (1337-1453). A Jouarre monastère, église et village sont pillés et incendiés, les sœurs sont contraintes à l'exil. Elles reviennent en 1433, la remise en état des bâtiments et domaines demandera plus d’un demi-siècle. La population est appauvrie et l'abbesse Jeanne d'Ailly redistribue vers 1470 des terres abandonnées : voilà l'origine des "Usages" à Vanry et ailleurs.
Du XVIème siècle à la Révolution
Le 16e siècle c'est la Renaissance. En 1514, l'abbesse Antoinette de Moustier fait sculpter et placer dans le vestibule de la Tour une Mise au Tombeau de Michel Colombe, dont les principaux personnages subsistent, exposés depuis la Révolution à l'église paroissiale.
Une figure domine cette période, le roi François Ier (1494-1547), qui pose les bases de l'absolutisme et centralise l'Etat. Depuis le Concordat de 1515, c'est le roi qui nomme les abbés et abbesses. A Jouarre, François Ier nomme sa sœur naturelle, Magdeleine d’Orléans. Cette nouvelle abbesse introduit la réforme de Fontevrault et reconstruit les bâtiments conventuels. Entre 1525 et 1543 les voûtes de la Tour sont restaurées et décorées à ses armoiries. Elle ordonne la fabrication des châsses de bois doré destinées à contenir les reliques des saints. Pendant le conflit entre François Ier et Charles Quint, Empereur du Saint Empire Romain-Germanique, les religieuses doivent s'exiler en 1544. Triste époque, la deuxième moitié du siècle est déchirée par huit guerres de religion consécutives, entre 1562 et 1598.
La famille de Bourbon donne à l'abbaye trois abbesses successives. La première, Charlotte, arrive à l'abbaye à 14 jours… Agée de 14 ans et contrainte par sa famille elle fait profession et devient abbesse. Des vœux prononcés sous la contrainte sont nuls et Charlotte, majeure en 1572, s'enfuit, passe au protestantisme et épouse Guillaume d’Orange. Ses deux sœurs, Louise et Jehanne de Bourbon, choisissent librement la vie monastique et l'abbatiat. Elles gouvernent de 1572 à 1624 et font entrer l'abbaye dans le mouvement de réforme, de ferveur et de renaissance spirituelle à l'aube du 17e siècle. C'est l'époque de Marie de Beauvilliers à Montmartre, de Marguerite d'Arbouze au Val de Grâce et de Françoise de La Châtre à Faremoutiers.
Au siècle suivant, l'abbesse Jehanne de Lorraine continue l’œuvre de réforme. A l'abbaye 120 moniales vivent un vrai retour aux observances traditionnelles : pauvreté, vie commune dans le coucher, la nourriture et le travail, vie de prière et de silence. Ce siècle a le goût des constructions grandioses. Jehanne fait abattre l'église romane à flèche de pierre pour bâtir une église somptueuse, tant par la taille que par les matériaux employés : marbre, jaspe et bronze doré. En 1627, en présence de la Reine Marie de Médicis, elle fait relever de la Crypte les restes des corps des saints, pour les placer dans des châsses conservées alors dans l'abbatiale, actuellement à l'église paroissiale. On organise des processions derrière ces châsses lors de calamités publiques, pour solliciter du Ciel paix, santé et prospérité.
Les troubles reviennent avec la Fronde (1648-1653) qui oblige la Communauté à de nouveaux exils. Henriette de Lorraine, nièce de Jehanne, entre dans l'histoire hélas non pour sa ferveur mais pour son manque d'humilité. Elle a des démêlés orageux avec
Bossuet, évêque de Meaux, au sujet de l’exemption du monastère. Procès retentissant où est finalement aliéné le droit de juridiction de l'abbesse sur le territoire de Jouarre, le clergé et le peuple, qui était resté incontesté depuis 1225.
Lorsque l'abbesse se retire, vaincue, Bossuet se montre père spirituel de grande envergure ; en témoigne la correspondance suivie avec les moniales. En 1695, il écrit : « Dieu aime Jouarre, et les relations qu'on y contracte ont le caractère de l'éternité ».
Suite dans l'article "De la Révolution à aujourd'hui"