Homélie du P. Désiré
Frères et sœurs, St. Paul, pour avoir été lui-même bénéficiaire de la miséricorde de Dieu, porte en lui une conviction à savoir que le projet de Dieu, qu’il appelle souvent le « mystère » ou le « dessein bienveillant », est que l’humanité soit unie en Jésus-Christ (Ep 1, 5 ; 3, 5-6). Pour Paul, la première étape de ce projet est accomplie dans la mort et la résurrection même du Christ. Aussi peut-il affirmer : « Si le Christ a connu la mort puis la vie, c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants » (Rm 14, 9). Seulement, comme Dieu ne veut pas sauver le monde sans l’homme lui-même, la réalisation complète de ce « dessein bienveillant » de Dieu pour l’humanité dépend de notre solidarité commune. Malheureusement, le cœur de l’homme semble être porté à la division, à des divergences entre frères. Et, lorsque ces divergences s’installent durablement, de lointains souvenirs ne permettent plus le vivre ensemble communautaire. Dans de telles conditions, que faut-il donc faire ?
A cette question, Ben Sirac, le sage, que nous avons écoutée dans la 1ère lecture, nous répond en nous invitant d’abord à être indulgents pour nos frères (cf. Siracide 28, 2) ; c’est, ce conseil que le Christ lui-même a appliqué pour ses bourreaux en croix : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). Ensuite, Ben Sirac nous appel à la lucidité en pensant au jour où nous aurons à rendre compte devant le Juge Suprême (cf. Siracide 28, 6) et combien nous aurions voulu avoir bien agi en ce temps-là. En attendant qu’arrive ce jour, de notre vivant, Ben Sira nous conseille de penser à l’Alliance du Très-Haut. Il s’agit de se souvenir de la fidélité de Dieu tout au long de l’histoire envers son peuple si souvent infidèle, individuellement et collectivement. En entretenant le cercle de la violence dans nos communautés chrétiennes par notre incapacité à promouvoir la paix et la concorde, ou, paraphrasant Ben Sira, en refusant de pardonner à nos frères le tort qu’ils nous ont fait (cf. Siracide 28, 2) nous nous mettons en situation de dette envers eux. Or, St. Paul nous a dit la semaine dernière de n’avoir de dette envers personne sinon celle de l’amour (cf. Rm 13, 8).
Frères et sœurs, aimer nos frères exige une conversion profonde surtout, cela implique, en certaines circonstances, de savoir leur accorder notre pardon. « Le pardon » ! Voilà un joli mot qui reste énigmatique pour nous en particulier quand il s’agit de le mettre en pratique. Alors ce dimanche, Pierre qui a souvent aussi rencontré des difficultés quand il s’est agi de pardonner (n’avait-il pas coupé l’oreille de Malchus, un serviteur du grand prêtre Caïphe (cf. Jn 8, 10) ?), Pierre disais-je, veut mettre au clair les choses et il s’approche de Jésus pour lui demander : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? » (Mt 18, 21).
En guise de réponse, Jésus raconte une histoire en trois actes. 1er acte, un roi ajuste ses comptes lorsqu’il rencontre un débiteur qui ne saurait rembourser sa dette. Ce débiteur implore un moratoire. Mais, en lieu et place du moratoire sollicité, le roi lui accorde la remise totale de sa dette. 2ème acte, le débiteur gracié par le roi rencontre à son tour quelqu’un qui lui doit aussi ; alors que celui-ci lui demande de lui accorder encore un peu de temps, le débiteur du roi, devenu créancier, saisit son débiteur à lui et le jette en prison jusqu’au remboursement total de sa dette. Et finalement, 3ème acte, le geste du débiteur du roi a été vu en plein jour. Et les témoins rapportent la scène au roi qui ne comprend pas la dureté de cœur de son débiteur, le lui reproche, revient sur sa première décision et le livre aux bourreaux jusqu’au paiement total de sa dette. Alors, vient un appendice de Jésus lui-même : « C'est ainsi que mon Père du Ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur » (Mt 18, 35) ».
Cet appendice, semble indiquer qu’un cœur dur et sec n’est pas disposé à déguster le pardon reçu encore moins en accorder. Le serviteur de la parabole, cloué sous le poids d’une dette monstrueuse, qu’il s’en est vu libérée tout d’un coup par pure bonté, aurait dû normalement être envahi de reconnaissance et être miséricordieux à son tour vis-à-vis de son compagnon. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. En refusant de pardonner à son frère, il a perdu le bénéfice du pardon du roi. Il y a là certainement une très grande vérité pour nos vies : ce n’est pas Dieu qui cesse de pardonner, c’est l’homme qui est devenu imperméable au pardon que Dieu ne cesse de lui accorder par manque de lucidité à laquelle invitait Ben Sira dans la 1ère lecture.
En reprenant la lecture de Ben Sira, dans la Traduction Œcuménique de la Bible nous lisons : « Souviens-toi de l’Alliance du Très-Haut et passe par-dessus l’offense » (Siracide 28, 7). N’est-ce pas là une très belle définition du « PARDON » : « PASSER PAR-DESSUS » l’offense.
Dire que le « PARDON », c’est « PASSER PAR-DESSUS » l’offense, c'est accepter avec la grâce de Dieu qu’il y a encore UN AVENIR POSSIBLE. En effet, étymologiquement le mot « pardon » trouve son origine en latin du préfixe « per » et du mot « donare ». Or, le préfixe « per » signifie continuer ou persister en une action (jusqu’à la fin, c’est-à-dire complètement). Il s’agit ici de persister dans l’action du « don », malgré les difficultés que l’on pourrait rencontrer. C’est justement ce que dit le Christ en réponse à la question de Pierre : « Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais [de pardonner] jusqu'à soixante-dix fois sept fois. » (Mt 18, 22). C’est-à-dire : de ne pas compter le nombre de fois que l’on pardonne à son frère mais de le faire toujours-et-toujours. En ce sens, pour nous chrétiens, le « par-don », mis ensemble, est un don parfait, à « par-achever ». Si justement, ce don est parfait, il ne peut être en nous que l’œuvre de l’Esprit Saint.
Frères et sœurs, entendons-nous bien : accorder le pardon à son frère ne signifie pas oublier. C’est là justement où il y a erreur ! Pardonner ne signifie ni oublier ni ignorer mais comme nous l’a dit Ben Sira, le Sage : PASSER PAR-DESSUS L’OFFENSE, et essayer de survivre et de renouer la relation qui a été coupée par cette offense parce que le monde ne s’arrête par-là ; il y a bien encore un avenir possible pour nous. Voyez-vous, autant après une blessure physique, on garde une cicatrice sans que la peau redevienne neuve, de même pour une blessure morale rien ne pourra faire qu’elle n’ait pas eu lieu ; et dans les cas graves, on peut être marqué pour la vie. Dans une démarche de pardon, il nous faut peut-être comprendre aussi qu’ON NE PEUT PAS EFFACER UNE OFFENSE mais ON PEUT « PASSER PAR-DESSUS » celle-ci et poursuivre sa route avec la grâce de Dieu parce qu’« aucun d'entre nous ne vit pour soi-même […] si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur » (Rm 14, 7a ; 8a) ;Lui, le Maître de toute grâce peut nous accorder celle du pardon pour nos frères.
Frères et sœurs, comment ne pas penser que la Parole de Dieu, aujourd’hui, s’adresse à tous ces cœurs brisés, à tous ces personnes qui cherchent la paix sans la retrouver parce que leurs cœurs sont envahis par des noirs souvenirs d’un passé qui colle à leur peau comme l’odeur âcre du péché. À tous ceux-là, la parole de Dieu, ce dimanche, dit : IL Y A ENCORE UN AVENIR POSSIBLE. L’ayant compris, plaise au Seigneur de nous accorder une double grâce de savoir pardonner et recevoir le pardon des autres afin de mieux participer à la réalisation de son projet bienveillant pour l’humanité. Amen.
Prière universelle
Dieu a tant aimé le monde
qu’il nous a réconciliés en son Fils Jésus.
Aussi prions-le avec confiance pour tous les hommes.
« J’ai effacé ta dette » dit le Seigneur.
Pour qu’au niveau mondial, des solutions économiques & financières apparaissent
en vue de réduire la dette des plus pauvres,
Seigneur, nous te prions.
I 16 / Seigneur, nous te prions !
« J’ai effacé ta dette » dit le Seigneur.
Pour qu’à l’échelle internationale, la solidarité ne se relâche pas à l’égard des pays sinistrés
dépassant les conflits idéologiques pour servir une humanité vulnérable,
Seigneur, nous te prions.
« J’ai effacé ta dette » dit le Seigneur.
Pour qu’au niveau interpersonnel, en famille, au travail, en communauté,
des gestes de réconciliation puissent être posés,
Seigneur, nous te prions.
« J’ai effacé ta dette » dit le Seigneur.
Pour qu’à notre échelle personnelle,
nous recevant comme des êtres pardonnés & dans la paix,
nous soyons heureux & cherchions ce petit peu que nous pouvons offrir, chaque jour,
Seigneur, nous te prions.
Dieu de tendresse & de pitié,
Toi seul es bon & pardonne sans mesure,
Répands dans le cœur des hommes Ton Esprit d’amour & de réconciliation,
Par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen !