La succession apostolique est le nom que l’on donne à cette chaine humaine formée par les évêques successifs. Chacun d’eux a reçu l’ordination épiscopale par l’imposition des mains de trois évêques qui ont été ordonnés avant lui. D’évêque en évêque, d’ordination en ordination, on remonte aux apôtres. Il s’agit bien d’une hérédité ecclésiale, qui nous raccroche aux apôtres et à travers eux au Christ lui-même.
L’élection du pape Léon XIV nous a fait sentir la force de cette fidélité historique. Non seulement parce qu’en tant qu’évêque de Rome, le pape est un maillon de cette chaine, mais en plus en adoptant un nom nouveau, il s’inscrit dans une lignée de papes. Léon XIV est en effet Léon le 14ème du nom. Une histoire qui commence au temps d’Attila en 452 dont on dit que Léon 1er a arrêté la folie destructrice, et passe par Léon XIII, auteur de l’encyclique « Rerum Novarum » - « des choses nouvelles » publiée le 15 mai 1891, premier texte de la doctrine sociale de l’Eglise Catholique.
Ce fut l’actualité de notre église, vécue dimanche dernier par la prise de possession du siège pétrinien par le Pape Léon XIV. Après être descendu vénérer la tombe de Pierre, il est remonté afin de recevoir l’anneau de pécheur, manifestant ainsi le lien étroit de l’évêque de Rome aujourd’hui à l’apôtre Pierre, hier. Il s’agit bien ici d’un passage de témoin. C’est ce à quoi nous invite pour nous mêmes aussi ce passage d’évangile : un passage de témoin. Il est vrai que c’est une image dont j’aime me servir lorsque, lors de la célébration de baptêmes, le cierge est proposé au parrain et à la marraine: « recevez ce cierge, entretenez cette lumière et transmettez la à celui qui vient d’être admis dans la communauté chrétienne, aujourd’hui pour demain. C’est là le sens de votre engagement vers ce jour où votre filleul, à son tour, viendra faire profession de foi ».
Et j’ajoute toujours un petit mot pour rappeler que le bâton que l’on se passe de main en main dans une course de relais s’appelle … le témoin.
Vous proposer cette actualité ecclésiale c’est dans le désir de faire en sorte qu’ensemble nous soyons attentifs à l’un des éléments de ce passage d’évangile que je viens de vous lire. Peu de temps pour tout commenter, à partir de la richesse de ce passage : - chacun est vu comme la demeure de Dieu, parce qu’il aime Dieu – garder la parole qui n’est pas celle du Fils, mais celle du Père – la paix : quelle actualité comporte aujourd’hui ce mot, mais ici il s’agit d’une paix qui ne ressemble pas à celle que les états négocient de par le monde.
Cette installation officielle et médiatisée, ces baptêmes, surtout en cette période de l’année, me font entrer dans la parole de Jésus qui sonne comme l’annonce d’un relais, d’un moment de succession, d’un passage de témoin: « je vous parle ainsi tant que je demeure avec vous ». Et continuant son entretien avec ses apôtres, après le repas de la Cène et le lavement des pieds et cela avant son arrestation, Jésus annonce le futur en nommant son successeur : « l’Esprit ». C’est lui, nous annonce-t-il, qui nous enseignera tout et nous fera nous souvenir de tout ce que lui, l’envoyé du Père, est venu nous dire. L’Esprit nous soufflera l’enseignement de Jésus, nous donnera d’intérioriser l’enseignement de Jésus donné durant tout son ministère, et fera en sorte que cet enseignement, qu’il est venu nous transmettre, ne tombe pas dans l’oubli. Aussi Jésus nous annonce-t-il la suite, après son départ, durant son absence, dans l’attente de son retour de fils dans la gloire. Par cette confidence à ses apôtres Jésus ouvre le temps de l’Eglise qui sera le temps de l’Esprit, présent à chaque génération de ceux qui auront cru vraie cette Parole pour laquelle il est venu, l’auront témoignée, et auront engendré de nouvelles générations qui, à leur tour, croiront, témoigneront et engendreront.
Mais dans cette même confidence de Jésus aux Douze, il y a aussi par lui la reconnaissance qu’il est lui même inscrit dans une chaine de transmission : la Parole que fait entendre Jésus n’est pas sa Parole à lui, mais elle est celle du Père qui l’a envoyé lui, son Fils, afin qu’il énonce cette parole tant qu’il demeure dans le monde. Viendra le jour où le Fils laissera la place à Celui que le Père va envoyer, lui qui, de générations en générations, élément permanent du monde de Dieu au monde des hommes, enseignera, fera se souvenir, soufflera ce que le Père a dit par son Fils, son envoyé, son messager, en un mot, sa Parole. L’Esprit prendra le relais : ainsi naitra l’Eglise chargée d’annoncer cette parole.
Il y aura donc eu le temps du Jésus de l’histoire : ce fut le temps de la révélation décisive, le temps de l’annonce de l’Evangile, de la Bonne Nouvelle : « Dieu est Vivant, Dieu est relation, Dieu est Père ». Et dans ce même temps, Jésus a manifesté l’amour de ce Père pour sa création par des actes – signes qu’il a accomplis, sa parole étant là pour donner le sens de ces actes – signes : « Dieu est un Père miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour. »
Et il va y avoir le temps post pascal : un temps placé sous la présence de l’Esprit. Et le rôle de l’Esprit c’est justement de révéler le lien, la continuité, la prolongation qu’il y a entre le temps du Fils et le temps de l’Eglise : « l’Esprit que le Père enverra en mon nom, lui vous enseignera tout et il vous fera vous souvenir de tout ce que je vous ai dit ».
Serait-il possible qu’un jour le cierge pascal soit éteint à l’occasion d’un baptême ? Bien sûr que non ; aussi comment faire pour que le cierge du baptisé puisse être le témoin de la parole reçue et du don de la vie de Dieu transmise lors de ce baptême ?
De même est-il imaginable que puisse se rompre la chaine des témoins, constituée, maillon après maillon, depuis le Père, par le Fils, avec les générations et les générations de baptisés, porteuses de la flamme reçue au jour de leur baptême et entretenue sous le souffle de l’Esprit ? Impossible bien sûr ! Mais permettez quand même cette question : le témoin de votre propre baptême, à qui l’avez-vous transmis ?