Bonne nouvelle cette semaine : dans la grande surface que je fréquente habituellement, les galettes des rois sont déjà en place, et bien visibles. Ainsi donc, placé sous la table, et chargé de répondre à la question : « pour qui celle-là ? », le plus jeune de la famille aura la responsabilité de dire ce que le sort réserve à l’un des invités : par la fève, le voici désigné pour roi.
Tradition familiale qui sera très présente dans 5 semaines alors que, pour l’instant, nous savons bien qu’il est question de toute autre chose, même s’il s’agit pour l’un et l’autre de roi et de couronne. Par ce texte d’évangile nous avons plutôt envie de faire le lien avec la visite des Mages à Jérusalem : « où est le roi des juifs qui vient de naitre ? »
« Es-tu le roi des Juifs » ? » Qui parle ? Un roi, Pilate, placé sur le trône de Césarée comme procurateur de Judée, marié à Claudia Procula, petite fille de l’empereur Auguste. A qui parle-t-il ? A un roi. Mais ici les choses se compliquent pour Pilate, car dans la connaissance qu’il a de la région sur laquelle il règne, où le religieux a une telle importance, il sait qu’il existe dans la société juive de l’époque des soulèvements nationalistes contre l’occupation romaine. Soulèvement qui a pour but de chasser l’occupant romain et de retrouver ainsi l’intégralité du territoire de Palestine, cette terre que Dieu a donnée à son peuple, avec la liberté absolue de la célébration de ce Dieu dans le Temple de Jérusalem. Pilate d’ailleurs est à Jérusalem plutôt qu’à Césarée, car c’est la fête de la Pâque, prétexte souvent à des moments de révolte : aussi pour mâter toute rébellion, il vaut mieux ne pas être trop éloigné du lieu des risques.
Et l’autre problème auquel est confronté Pilate, c’est qu’il ne connaît pas grand-chose aux raisons pour lesquelles la communauté religieuse juive a tenu à lui présenter Jésus : c’est bien les autorités juives qui lui ont soufflé le motif d’accusation « ta propre nation, les grands prêtres t’ont livré à moi ! »
Le récit qui nous est proposé aujourd’hui avec ce titre de « roi » central est l’occasion d’assister à un malentendu : Pilate comprend le titre de roi comme un titre qu’il connaît puisque c’est le sien : Jésus serait alors vu comme une menace à l’ordre temporel : deux rois pour un seul siège ; alors que la communauté juive a livré Jésus au motif qu’il se dit roi mais dans une acceptation religieuse : dire que Jésus est roi c’est pour la communauté juive l’entendre dire qu’il est Christ ou Messie, ou oint ou consacré, figure religieuse que justement la communauté juive refuse de reconnaître à Jésus : elle nie cette évidence, ne voulant pas reconnaître Jésus pour son roi, et c’est sur ce motif qu’elle veut faire condamner Jésus.
« Es-tu le roi des juifs ? » Lorsque Pilate pose cette question à Jésus, lui refuse-t-il ou pas ce titre ? La réponse n’est pas si simple car nous savons, par d’autres passages des évangiles, que Pilate est impressionné par l’enseignement de Jésus, en même temps que par ses capacités à réaliser des miracles, ce que d’ailleurs Pilate voudrait bien le voir faire pour lui aussi. Mais sa faiblesse, sa peur de la réaction des autorités religieuses, son désir de maintenir l’ordre à tout prix, lui fera se laver les mains du « cas Jésus » et acceptera qu’il soit livré à la mort sur la croix.
Pourtant dans sa réponse Jésus est conscient de ce que ce titre peut avoir une double dimension, à la fois politique et religieuse. Jésus se démarque d’une désignation qui ne serait à voir que dans une réalisation historique, à visée politique : « Ma royauté n’est pas de ce monde » - « Ma royauté n’est pas d’ici. » De fait Jésus ne dispose d’aucun soutien terrestre, militaire ou partisan, encore moins d’une armée d’anges. Reste alors pour Jésus à faire entrer dans la dimension religieuse de ce titre : Jésus est le Messie, royal, national à la façon de l’attente juive : il est le nouveau David : « tu le dis, je suis roi ! » Mais par sa réponse Jésus ouvre à une toute autre dimension ; ce qui est dit en faisant mention de sa naissance comme étant une venue dans le monde : « où donc est le roi des juifs qui vient de naitre ? ». Si donc il est venu dans le monde, c’est qu’il n’était pas de ce monde, que son origine n’est pas que terrestre, ce qu’entend tout auditeur de l’évangile lorsqu’il proclame le mystère de l’Incarnation : « il nous est né un Sauveur qui est Christ Seigneur », ce qui manifeste une relation à Dieu d’un tout autre ordre que celle qui pourrait renvoyer à la figure d’un descendant de David.
D’où le désir de Jésus de se définir comme roi siégeant à la droite de Dieu. Et en cela il témoigne de LA vérité. Et qui donc, dans toute la Bible, peut prétendre détenir LA Vérité de Dieu, sinon Dieu seul ?
Alors Jésus roi à l’équivalence de Pilate ? Ou Jésus roi d’un règne qui n’aura pas de fin, assis qu’il sera à la droite de Dieu, après que Pilate ait fait mettre sur la croix : « Jésus de Nazareth, le roi des juifs », ce qui sera contesté par les grands prêtres « cet individu a prétendu qu’il était le roi des juifs ».
A l’épiphanie qui sera le roi d’un jour, désigné par le sort ? Attention à ne pas trop prendre ses désirs pour la réalité ! Et dans ce passage d’évangile qui donc est le roi véritable : Pilate roi éphémère ou celui que Pilate désigne comme le roi ? « Donc tu es roi ! »
Quel dommage que notre passage d’évangile ait été coupé là où il s’arrête ; ce que nous avons lu aujourd’hui ! Il aurait pu nous être donné de lire le verset suivant, cela n’aurait pas pris trop de temps. D’ailleurs je ne résiste pas au désir de vous le lire : « Pilate dit à Jésus : qu’est-ce que la Vérité ? »