Offrons-nous un petit plaisir en ce début d’année. Ce n’est pas un théologien, ce n’est pas un exégète, ce n’est pas un philosophe, quoique … C’est un joueur de mots : Raymond Devos. Ca va, il peut être cité ici. Et voici ce qu’il nous dit dans l’un de ses célèbres sketchs :
Pour Caen, quelle heure ?
Pour où ?
Pour Caen !
Comment voulez-vous que je vous dise quand, si je ne sais pas où ?
Comment, vous ne savez pas où est Caen ?
Si vous ne me le dites pas !
Mais je vous ai dit Caen !
Oui ! … mais vous ne m’avez pas dit où !
« Où est le roi des juifs ? » demandent les Mages à Hérode, alors qu’eux peuvent lui préciser le quand de la naissance, informés qu’ils sont, grâce à leur science : une étoile.
Où ? Les mages n’ont pas le savoir du lieu. Quand ? Les mages ont la connaissance de la date de la naissance. C’est la manière qu’a l’évangéliste Matthieu de nous relater la naissance du roi des juifs.
Où ? Les bergers ont reçu l’information du lieu de la naissance d’un Sauveur qui est Christ, Seigneur : « vous trouverez un nouveau né, emmailloté, couché, dans la ville de David ». Quand ? Les bergers reçoivent l’information du moment de la naissance : « aujourd’hui ». C’est la manière qu’a l’évangéliste Luc de nous faire savoir la naissance du fils premier né de Marie.
Deux récits qui nous sont proposés pour affirmer une naissance, nous dire qui est celui qui est né, et nous renseigner sur l’identité réelle de cet enfant. Deux récits qui donnent, chacun à sa manière, comme information le où et le quand de la naissance. Mais ces deux récits divergent quant à la désignation du nom des informateurs. Chez Luc, tout vient de Dieu : l’ange, le messager de Dieu, se présente aux bergers, les enveloppe de sa lumière et la gloire du Seigneur l’accompagne. C’est lui qui témoigne du où : « dans la ville de David », et du quand : « aujourd’hui ».
Chez Matthieu, dans le récit de ce jour, nous avons les mêmes éléments d’informations : le où : « à Bethléem » et le quand : « nous avons vu son étoile en Orient ». Mais, ici, la possibilité de se rendre dans la maison, auprès de l’enfant et de Marie, est la conséquence d’un double savoir : le savoir que possède les Mages – ils savent quand mais ne savent pas où : « où est le roi des juifs qui vient de naitre » et le savoir que possèdent les grands prêtres et les scribes – ils savent où mais ne savent pas quand : « à Bethléem en Judée ». Si le savoir des uns repose sur une étoile vue en Orient, le savoir des autres s’appuie sur les Écritures, les livres saints de la communauté juive, mais qui est avant tout le recueil des Paroles de Dieu adressées par ses témoins à son peuple. Dans ce récit, pour parvenir à l’enfant et à sa mère, dans la maison, il est nécessaire d’additionner, de conjuguer, de mettre en relation le savoir des païens et le savoir des religieux juifs. Il y a ce savoir de gens qui ne sont pas bien vus par les autorités religieuses juives, car le savoir des mages est considéré comme un savoir qui a la prétention de connaitre le futur, à l’égal de nos horoscopes, alors que pour la communauté juive, Dieu seul connait le futur. La connaissance du futur appartient à Dieu seul alors que c’est l’ambition des hommes que de vouloir deviner ce qui appartient à Dieu. Et il y a le savoir des religieux juifs qui ont, eux, à leur disposition, les Écritures, reconnues par eux comme la Parole même de Dieu, transmise par les prophètes et les Sages de l’Ancien Testament qui sont là comme témoins de ce que Dieu conduit l’histoire des hommes et les invite sans cesse à se rendre disponibles pour sa venue prochaine, par une vie qui soit en harmonie avec ce Dieu qui mène l’histoire.
Chez Luc, ce sont les anges, messagers de Dieu, qui disent le quand et le où : BETHLÉEM et AUJOURD’HUI. Chez Matthieu ce sont les Écritures qui disent le où, mais ce sont les païens qui disent le quand. Et par eux, dans la prise au sérieux par Dieu de leur science, de leur compétence, de leur savoir, c’est l’étoile qui devient messagère. Ici l’étoile joue un peu la même fonction que les anges chez Luc. L’étoile conduit à l’enfant et la mère dans la maison, passant par dessus Jérusalem. Tous les hommes, juifs et païens, à travers leurs Écritures, leur sagesse et leurs sciences diverses, sont invités mystérieusement par Dieu à découvrir la lumière du Christ et venir adorer l’enfant. Les uns et les autres ont besoin du savoir des uns et des autres pour parvenir au Christ. Personne n’est exclu ; il n’y a pas de découverte du Christ, sans l’addition des compétences des uns et des autres, mais avec la reconnaissance, au fond, de ce que c’est Dieu qui conduit l’histoire, révélée par la lecture de foi des témoins de Dieu, transcrite par les Écritures et l’apport des sciences qui sont invitées à reconnaitre l’auteur de la création.
Reste posée la question de ce que la connaissance du quand la naissance a fait bouger les Mages, alors que la connaissance du où la naissance n’a pas fait bouger les grands prêtres et les scribes. Les Mages, munis du OÙ et du QUAND, vont jusqu’à l’enfant, roi des juifs. Les grands prêtres et les scribes, munis du QUAND et du OÙ n’ont pas bougé. En ce début d’année, qu’est-ce qui va nous faire bouger, nous qui savons OÙ et QUAND est né le Roi des Juifs, afin de le découvrir, au matin de Pâques comme Christ, le Seigneur, notre Sauveur ? « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici. Venez voir l’endroit où il gisait. Rappelez-vous comment il vous a parlé quand il était encore en Galilée»