Il y a, parait-il, une chance sur 19 millions d’être l’heureux gagnant du Loto. Il y aurait plus de probabilité d’être frappé par une météorite que d’être l’heureux gagnant de ce jeu de hasard !
Entre le « heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage » de Joachin du Bellay et le « heureux » de Fernand Raynaud, heureux parce que cantonnier vicinal, loin des soucis de ses cousins qui paient des impôts, de celui qui est directeur d’entreprise, ou de celui qui est député, y a-t-il place pour que nous puissions nous dire que, ou si, nous sommes heureux ? Oui, prendre le temps de nous dire, à partir de ce texte d’évangile selon Saint Luc, et c’est important de préciser que c’est de Luc et non de Matthieu, ce qui nous fait heureux. Heureux ? Oui, je vous le souhaite ? Heureux ? Oui, je l’espère pour vous. Heureux ? Cela semble transparaitre sur nombre de visages d’entre vous.
Heureux ? Pourquoi pas, mais avec ce que Jésus ajoute à ce qui peut contribuer à être heureux, cela devient plus relatif : heureux d’être pauvre ; heureux d’avoir faim ; heureux de pleurer ; heureux malgré le mépris dont je peux être l’objet !
Ces quelques mots, je les ai préparés non pas grâce à celle qui fut très présente au début de la semaine passée : l’intelligence artificielle, mais avec l’évangile de Luc lui-même. Il m’a été demandé d’intervenir, durant le carême à venir, pour présenter un vitrail de la Cathédrale de Bourges illustrant la parabole de Lazare et du riche : elle est uniquement dans l’évangile de Luc. Et là je dois dire que je suis pleinement heureux : il est vrai que j’apprécie particulièrement les vitraux historiés du XIIIème siècle, et de plus cette parabole m’aide à donner sens à ces béatitudes qui pour moi restent toujours un texte difficile à présenter.
La parabole de Lazare et du riche, en Saint Luc, vous la connaissez. Il y a ce pauvre Lazare, qui existe comme personne : en effet il a un nom, le seul dans toutes les paraboles. Il a faim alors qu’il voit les festins organisés par le riche ; il n’est pas l’objet de l’attention du riche alors qu’il est sur le seuil de sa maison et ce sont les chiens qui, seuls, viennent lécher les plaies de sa lèpre. Rejeté il l’est, jusqu’au moment de sa mort. C’est le vrai portrait de ceux que Jésus, dans ses béatitudes, reconnait pour être heureux. Du riche nous ne savons que la richesse des étoffes de ses vêtements et des brillants festins qu’il organise. Est-il le portrait de ceux que Jésus reconnait pour malheureux qui grâce à leurs richesses ont dès maintenant leur consolation ; il est repu maintenant ; il doit conduire joyeuse conversation en présidant les agapes qu’il organise maintenant ? Et pour lui, ajoute la parabole, il y a cette remarque que je trouve terrible : « le riche mourut et on l’enterra ». C’est comme un point, point final ! Alors que pour Lazare, la vie continue. Il est indiqué qu’il est emporté par les anges, au coté d’Abraham, dans le sein d’Abraham.
A qui donc s’adressent ces béatitudes ? Avant de dire qu’elles sont aussi pour nous, maintenant, nous pouvons les considérer comme destinées à la communauté chrétienne de l’an 80, à l’époque de la rédaction de l’évangile. Période de persécutions s’il en est durant laquelle nombre des membres de l’Eglise connaissent physiquement la pauvreté, la faim, les pleurs, les insultes, et cela maintenant, en l’an 80. « Maintenant » : adverbe 4 fois présent dans ce récit, dont 2 fois pour ceux qui sont considérés comme « heureux ». Et pourquoi le sont-ils donc « heureux » ? Parce qu’ils sont avec Jésus, et que lui est avec eux, lui qui a partagé les mêmes souffrances, celle de la pauvreté, de la faim, des pleurs, des insultes. Ces béatitudes sont aussi son portrait à lui Jésus ! Ce qui fait qu’ils sont « heureux » c’est que pour eux, comme pour Jésus en l’an 30, il existe un futur : le royaume de Dieu, avec promesse d’une récompense dans le ciel. Leur futur c’est d’être avec le Fils de l’homme pour lequel et comme lequel ils connaissent la pauvreté, la faim, les pleurs et les insultes. Et de même que pour Lazare s’approchent les anges qui vont l’emporter auprès d’Abraham, approche maintenant Celui qui est notre avenir : le royaume de Dieu, le ciel ; certitude qui fait tenir dans la foi en ce présent, en ce maintenant : « réjouissez-vous, tressaillez de joie, votre récompense est grande dans le ciel ». Tous ces verbes sont au présent. Et la récompense promise, nous la contemplons dans la gloire du Fils de l’homme ressuscité, à l’égal de Lazare emporté dans le sein d’Abraham.
Pour les riches : renversement total de situation ! Pour eux aussi, il y a 2 fois l’adverbe « maintenant ». Mais leur futur s’arrête à ce qu’ils ont « maintenant ». Viendra la faim, le deuil et les pleurs. Plus rien, demain. Pas de futur à leur situation : « on l’enterra ». Pas de royaume de Dieu, pas de ciel. Seulement pour le riche de la parabole, la soif pour laquelle il demande à celui qu’il n’a pas su voir sur terre, une goutte d’eau sur son doigt. Mais il existe un grand fossé, si grand qu’il en est infranchissable : rien à voir avec ce peu qui séparait Lazare et le riche au seuil de sa maison !
Nous savons que Luc rédige son évangile pour le très honorable Théophile – ami de Dieu. Quelle est sa situation sociale, « maintenant », à l’heure de la rédaction par Luc ? Nous ne le savons pas. Mais dans le « maintenant » de nos vies, nous aussi Théophile – ami de Dieu, à quelle conversion sommes-nous invités en vue d’être en conformité avec le Christ, le Fils de l’homme, dont le royaume est notre a - venir, et qui nous engage, comme disciples, à nous déclarer pour lui, dès maintenant ?