« Ayant aimé les siens qui étaient en ce monde, il les aima jusqu’au bout… »
C’est en laissant cette parole du jeudi saint prolonger son écho en nous qu’il faudrait méditer les trois lectures que nous venons d’entendre.
Elles ont un but : nous aider à mieux comprendre ce qui suit, non seulement dans le texte, mais dans cette eucharistie que nous célébrons actuellement, au cours de laquelle Jésus nous donne sa vie en nourriture.
Ces paroles sont des paroles créatrices qui nous permettent de nous construire à l’image et à la ressemblance de Dieu, d’exister vraiment, en libérant ce qui demeure en nous plus ou moins en germe. Saint Paul, dans la seconde lecture l’expose parfaitement en rappelant le rôle de la Loi. Elle balise notre route, précise les limites à ne pas franchir. Mais nous en savons l’insuffisance si ce n’est pas l’amour qui l’inspire. Il est, Lui, Jésus, l’accomplissement de la Loi, la seule façon d’exister pour de bon.
Au terme, Jésus nous dit qu’aimer en perfection consiste à donner, comme lui, son corps et son sang, notre propre vie.
« Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne »
C’est un pouvoir qui nous est donné, que les saints, non seulement les saints patentés mais combien d’autres plus ou moins anonymes savent comment mettre en œuvre.
Le moment est venu pour Jésus de dire à ses disciples qu’il va vers sa Passion : solennité de l’annonce, qui sera répétée deux autres fois encore dans l’Evangile. Mais comment accepter que le Maître aimé ait à souffrir, qu’il soit tourné en dérision, humilié, crucifié, mis à mort, lui qui n’a fait que le Bien ?
Alors, Pierre, avec sa fougue coutumière, lui qui est toujours un peu notre porte-parole dans ce genre de situation, vif mais peu courageux !, Pierre proteste : il refuse cette annonce ; elle contredit trop sa sensibilité… et la nôtre. Et Jésus le remet en place sévèrement : « Arrière de moi Satan, car tes vues ne sont pas celles de Dieu ».
Si Jésus va à la mort, c’est parce qu’il y a quelque chose dans le cœur de l’homme qui résiste et résistera toujours à l’amour offert, mais cette résistance, cette violence, ne pourra jamais être surmontée que par l’esprit des Béatitudes, esprit de douceur et de paix ; la violence ne se guérit pas par la violence. Le disciple est appelé pareillement à suivre ce chemin, à se renoncer, à prendre sa croix, à perdre ou plutôt à donner sa vie, à l’abandonner. Car c’est d’un don libre qu’il s’agit, d’une offrande, d’un consentement et non d’une faiblesse.
Cet épisode est au centre de l’évangile. Où en sont les disciples à ce moment du récit ? Ils ont vu agir Jésus, ils l’ont entendu parler : une parole à nulle autre pareille. Il parlait vrai. Ils l’ont appelé « Maître », tout en s’interrogeant à son sujet : « Qui est-il pour que les vents et la mer lui obéissent ?
L’heure est venue pour eux de prendre position et de s’engager dans une parole personnelle. Jésus leur demande les avis qui circulent à son sujet : « il est prophète comme Jean Baptiste, Elie ou l’ un des anciens prophètes ».
Jésus leur pose alors la question décisive : Vous, qui dites-vous que je suis ? L’enjeu est capital. Si la reconnaissance n’a pas lieu, il restera un guérisseur, un bon prédicateur populaire, mais sans plus. Viendra un jour où l’on ne parlera même plus de lui. Il ne suffit pas que les disciples en restent à des approximations à son sujet.