Parler ainsi ressemble bien à de la provocation. A quoi bon travailler plus si l’on ne peut pas gagner plus ? Comment ce qui nous apparaît comme une injustice flagrante pourrait-il ne pas nous révolter, à moins que d’entendre cet évangile chaque année finisse par nous laisser indifférent. Une énigme irritante qui ne nous empêche pas de dormir, que nous écoutons ou lisons plus ou moins distraitement. Pour des juifs qui avaient observé la Loi depuis toujours, c’était insupportable. La première lecture nous a prévenus : « mes voies ne sont pas vos voies. » Jésus nous dit que Dieu n’est pas juste, que le salaire qu’il nous donne n’a rien à voir avec la quantité ou la qualité de notre travail, nos efforts, notre petit capital de mérites.
Alors pourquoi se fatiguer ? Pourquoi faire le bien ?
. Une question et sa réponse
. Une explication
. Un petit mot important
Des applications.
La question : Pardonner jusqu’où ? Jusqu’à sept fois ?
Peut-être avons-nous la chance de n’en vouloir à personne, mais si nous cherchons bien n’y a-t-il pas en nous quelque rancune cachée, une sourde animosité, un « c’est bien fait » prêt à sortir quand l’autre connaît quelque échec ?… On peut penser à ce beau récit d’un ancien déporté chrétien, qui a fait tout un cheminement spirituel dans le camp de concentration, mais qui déclare à plusieurs reprises qu’il ne pardonnera jamais ce qu’on lui a fait subir. On peut penser aux victimes du 11 septembre et à ce qui a suivi, en Irak ou en Afghanistan, au Mali…
La réponse de Jésus est simple « jusqu’à 70 fois 7 fois », c’est à dire à l’infini…
Suit une explication, sous forme de parabole, l’histoire d’un roi qui pardonne à un serviteur qui lui, ne pardonne pas. Comme cet homme de dimanche dernier qui refusait de voir ses torts, malgré les interventions de ceux qui essayaient de les lui faire reconnaître, il s’exclut de lui-même de tout pardon et se met à l’écart de la communauté ecclésiale.
Il n’a pas saisi que dans les paroles du Maître il y a un mot important, l’un de ces mots très brefs qui changent tout le sens d’une phrase, c’est le mot « comme ». Comme je t’ai pardonné, tu devais pardonner toi aussi » Il s’agit donc de pardonner comme Dieu nous pardonne, de nous comporter à l’image et à la ressemblance de Dieu.
« Ayant aimé les siens qui étaient en ce monde, il les aima jusqu’au bout… »
Jean 13/1
C’est en laissant cette parole du jeudi saint prolonger son écho en nous qu’il faudrait méditer les trois lectures que nous venons d’entendre. Elles ont un but : nous aider à mieux comprendre ce qui suit, l’eucharistie au cours de laquelle Jésus nous donne sa vie en nourriture. Ces paroles sont des paroles créatrices qui nous permettent de nous construire à l’image et à la ressemblance de Dieu, d’exister vraiment, en libérant ce qui demeure en nous plus ou moins en germe.
Saint Paul, dans la seconde lecture l’expose parfaitement en rappelant le rôle de la Loi. Elle balise notre route, précise les limites à ne pas franchir. Mais nous en savons l’insuffisance si ce n’est pas l’amour qui l’inspire. Il est, lui, l’accomplissement de la Loi, la seule façon d’exister pour de bon. Au terme, Jésus nous dit qu’aimer en perfection consiste à donner, comme lui, son corps et son sang, notre propre vie. « Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne »
C’est un pouvoir qui nous est donné, que les saints, non seulement les saints patentés mais combien d’autres plus ou moins anonymes savent comment mettre en œuvre.