Homélie du P. Désiré
Frères et sœurs, permettez-moi de faire un retour en arrière sur quelque chose qui a attiré mon attention cette semaine dans l’évangile selon St Luc. Mercredi, on a vu le Seigneur se lamenter de l’attitude de ceux qui critiquent tout sans jamais rien n’apporter ni en idée ni en action pour améliorer la situation qu’ils critiquent pourtant : « Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté des lamentations, et vous n’avez pas pleuré » (Lc 7, 32). Jeudi, nous avons certes célébré St. Matthieu, l’évangéliste, mais, il était proposé aussi un autre évangile pour le Temps Ordinaire. Dans l’un ou l’autre cas, les pharisiens étaient mis en scène ; et chaque fois la problématique était celle des murmures. Pour la saint Matthieu, les murmures s’étaient levés pour dénoncer le fait que Jésus mange avec des publicains et des pécheurs (cf. 9, 11); quant à la messe du Temps Ordinaire, du même jour, les murmures venaient mettre en doute le statut de Jésus comme prophète puisque visiblement, selon les pharisiens, il n’ a pas su que la femme qui le touchait et essuyait ses pieds avec des larmes était une pécheresse publique (cf. Lc 7, 36-39). Ce dimanche avec Saint Matthieu, ce qui se cache derrière la parabole des ouvriers de la onzième heure, c’est encore un problème de murmures. Ça commence à faire trop pour qu’on ne s’y arrête pas.
Le murmure est quelque chose de concret. Dans un sens positif, il consiste à parler doucement, à voix basse mais il a aussi un sens figuré qui fait que l’on bougonne, grommelle, grogne, ronchonne, maugrée, récrimine, critique négativement. Quand les deux sens sont cumulés, le murmure marque un désaccord, une rupture dans la communion ; il exprime alors un refus d’accepter ce qui est proposé. St. Benoît qui connaissait bien le cœur de l’homme en parle abondamment dans sa règle, et l’identifie à l’orgueil qui est le contraire de l’humilité (cf. RB. Ch 4, 39). A ce propos, Pierre Miquel (1979), ancien abbé de Ligugé, écrit dans son livre, La vie monastique selon St. Benoît : « Un murmurateur résiste aux commandements des Supérieurs, il est inutile et incapable de faire aucune bonne œuvre. » Voilà qui est bien dit.
Homélie du P. Désiré
Frères et sœurs, St. Paul, pour avoir été lui-même bénéficiaire de la miséricorde de Dieu, porte en lui une conviction à savoir que le projet de Dieu, qu’il appelle souvent le « mystère » ou le « dessein bienveillant », est que l’humanité soit unie en Jésus-Christ (Ep 1, 5 ; 3, 5-6). Pour Paul, la première étape de ce projet est accomplie dans la mort et la résurrection même du Christ. Aussi peut-il affirmer : « Si le Christ a connu la mort puis la vie, c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants » (Rm 14, 9). Seulement, comme Dieu ne veut pas sauver le monde sans l’homme lui-même, la réalisation complète de ce « dessein bienveillant » de Dieu pour l’humanité dépend de notre solidarité commune. Malheureusement, le cœur de l’homme semble être porté à la division, à des divergences entre frères. Et, lorsque ces divergences s’installent durablement, de lointains souvenirs ne permettent plus le vivre ensemble communautaire. Dans de telles conditions, que faut-il donc faire ?
A cette question, Ben Sirac, le sage, que nous avons écoutée dans la 1ère lecture, nous répond en nous invitant d’abord à être indulgents pour nos frères (cf. Siracide 28, 2) ; c’est, ce conseil que le Christ lui-même a appliqué pour ses bourreaux en croix : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). Ensuite, Ben Sirac nous appel à la lucidité en pensant au jour où nous aurons à rendre compte devant le Juge Suprême (cf. Siracide 28, 6) et combien nous aurions voulu avoir bien agi en ce temps-là. En attendant qu’arrive ce jour, de notre vivant, Ben Sira nous conseille de penser à l’Alliance du Très-Haut. Il s’agit de se souvenir de la fidélité de Dieu tout au long de l’histoire envers son peuple si souvent infidèle, individuellement et collectivement. En entretenant le cercle de la violence dans nos communautés chrétiennes par notre incapacité à promouvoir la paix et la concorde, ou, paraphrasant Ben Sira, en refusant de pardonner à nos frères le tort qu’ils nous ont fait (cf. Siracide 28, 2) nous nous mettons en situation de dette envers eux. Or, St. Paul nous a dit la semaine dernière de n’avoir de dette envers personne sinon celle de l’amour (cf. Rm 13, 8).