En fond de tableau : le Temple, toute une foule. Au milieu une femme les yeux baissées, effrayée, humiliée, rudoyée par un groupe d’hommes qui la présentent à Jésus pour être condamnée.
On attend sa réponse, qu’il se dresse comme un juge, montre du doigt, énonce une sentence. Il n’en fait rien, mais fait exactement le contraire. Il était assis, en train d’enseigner, il va continuer, non point par des paroles. Il est toujours le Maître qui enseigne. Il ne se dresse pas, mais s’abaisse, il ne montre pas du doigt, mais avec le doigt dessine sur le sol. Face au prestige de la Loi et de ses docteurs, Dieu en personne répond par la fragilité de quelques traits sur le sable. Au texte des prescriptions, aux articles de loi, il donne une forme nouvelle, silencieuse. Sa seule et unique écriture ne laissera aucune trace visible, elle est destinée à faire passer une parole qui ne passera pas.
Laquelle ? Lui-même qui s’exprime alors au-delà des mots, par ce geste, son attitude, son silence. Parole troublante que lui-même, Verbe fait chair.
Oppose-t-il la faiblesse à la force ?
Nullement, la faiblesse n’est pas une vertu ;
il fait appel à une autre force,
celle de la lumière qui pénètre les consciences.
Il joue aussi sur le temps en déclarant à ceux qui le pressent de donner un verdict : « Celui d’entre vous qui est sans péché qu’il lui jette le premier la pierre ». Puis il s’abaisse à nouveau, continue à écrire, alors que peu à peu les hommes s’éloignent. Ce geste de force de Jésus fait jaillir la liberté, un geste sauveur.
Nous avons à prendre au sérieux la gratuité du don de Dieu. Ce n’est pas en raison de nos mérites, ni de nos bonnes pensées que Dieu vient nous combler, mais parce qu’il nous aime.
Il y faut cependant un déplacement de notre part, celui du fils retournant vers son père. De quoi s’agit-il ? Simplement de notre confiance, de notre abandon, de notre foi en cet amour qui nous fait exister, nous enveloppe, qui est inscrit au plus profond de nous-mêmes.
Le père ne peut rien pour le fils tant que le fils ne se tourne pas vers lui.
Dieu ne peut nous donner notre bonheur sans notre assentiment,
un assentiment qui ne se donne pas toujours par des raisons très louables. Nous voyons que le fils prodigue ne décide pas de retourner vers son père par amour. Rien de noble dans son raisonnement. Simplement il a faim et il n’a plus d’argent.
Il est facile de transposer : les excès, les idoles auxquels nous nous livrons sans toujours en avoir bien conscience, consomment nos richesses intérieures et extérieures et nous laissent vides et affamés. Déçus en fin de compte. C’est les mains vides que nous retournons vers notre vérité d’hommes, notre dignité de fils. Dieu nous attend.
Non, les voyageurs de l’avion qui vient de s’écraser, les victimes d’un terroriste, celles des accidents de la route ne sont pas plus pêcheurs que les victimes de tremblements de terre ou de bombardements. La mort est toujours là, brutale, inopinée, ou au terme d’une longue maladie. La cécité de l’aveugle-né dans saint Jean n’était due ni à ses propres péchés ni à ceux de ses parents.
L’idée de malheur lié au péché et à une punition divine est aussi vieille que l’humanité.
La Bible la prend en charge et lui fait subir un traitement qui ne portera ses fruits que lors de la mort et de la résurrection du Christ. Là nous apprenons que Dieu laisse crucifier Jésus, que les armées d’anges ne bougent pas. Nous avons du mal à nous défaire de l’idée d’un Dieu interventionniste, soit pour punir ou pour tirer d’affaire. Ce Dieu n’est pas le nôtre, le Dieu de Jésus Christ. Il est avec nous certes, l’Emmanuel, mais d’abord pour partager ce que nous avons à traverser et pour donner à toute chose une issue de vie et de gloire. Serviteur, il se met entre nos mains afin de pouvoir nous prendre entre les siennes.
Mais alors que signifie la formule inquiétante : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous ? »