Vous qui êtes dans la nef de cette église : ça va ? Vous voyez bien ? Il est vrai que si vous regardez devant vous, vous ne voyez que des nuques et des dos !
Vous toutes, communauté de Jouarre : ça va ? Vous voyez bien ? Il est vrai que si vous regardez devant vous, vous vous voyez, en vis-à-vis, en face à face !
Vous qui êtes dans la nef, voyez-vous bien ? Il est vrai qu’entre vous et l’abside de cette église, rien ne vient arrêter votre regard. Pas de statue de Saint Benoit : lui ce n’est pas d’abord la vue mais la parole : « Ecoute ô mon fils ». Pas de statue de Saint Henri, patron des oblats bénédictins ! Et parité oblige, pas de statue de sainte Scholastique, sœur de Saint Benoit, considérée comme la première moniale bénédictine ; pas de statue de Sainte Colette, réformatrice de l’ordre des Clarisses, après avoir été quelques temps bénédictine. Rien qui n’arrête le regard dans la nef, si ce n’est la statue de celle que nous nommons par son nom de femme – « Marie » - et que nous désignons sous le titre qui lui a été donné, reconnue sous le nom du rôle qui fut le sien « Mère de Dieu ».
Vous toutes, communauté de Jouarre, voyez-vous bien ? Oui, et vous voyez même au-delà de ce qu’il vous est donné à voir, puisqu’entre vous, lorsque vous vous voyez, vous vous donnez le titre de « sœur ». Et ensemble, souvent en conclusion d’un temps de prière, vous vous tournez vers celle qui a su dire « oui » à la parole de l’ange, alors qu’il n’y avait rien à voir. Seulement entendre l’annonce d’un signe, là bas, chez sa cousine Elisabeth, celle qui saura voir en Marie la mère de son Seigneur.
Nous arrivons au terme de notre lecture du chapitre 6 de saint Jean commencée au début du mois. Nous avons longuement écouté Jésus se proposer comme pain pour la vie du monde. Comme les auditeurs de Jésus, nous en avons assez entendu pour savoir à quoi nous en tenir sur la personne et le message de Jésus. Qu’allons-nous décider ? Avons-nous envie de continuer notre chemin en compagnie de cet homme-là ?
C’est la question, en tout cas, que se sont posée ouvertement les auditeurs de Jésus. Et beaucoup d’entre ses disciples – beaucoup, souligne l’évangile – ont répondu non. C’est trop ! On ne suit plus.
Se nourrir de sa parole, oui ! Mais se nourrir de sa chair, non ! C’est du délire. Il n’est pas honorable d’entretenir de telles imaginations.
Mesurer la tristesse de Jésus. Il n’a pas convaincu tous ceux qui s’étaient engagés à sa suite.
Quelle déception ! Avec quelle angoisse se tourne-t-il vers le dernier carré ! « Et vous, n’avez-vous l’intention de partir, vous aussi ? » - Non, ils resteront. Car ils n’ont pas trouvé mieux que Jésus. Ce n’est pas très glorieux, mais c’est la vérité. Jésus, ils ne le comprennent pas toujours, mais ils pressentent qu’en lui, c’est la sainteté même de Dieu qui se révèle et qui veut se communiquer.
Communier au pain de Jésus, c’est communier avec l’invraisemblable, accéder à l’impossible. C’est communier à la sainteté même de Dieu, à la vie même de Dieu.
Lire la suite : Homélie sur Jn 6,60-69 - P. Dominique Salin, sj
Ils ont raison, les Juifs : cette histoire d’un homme qui dit : « Ma personne, ma vie, elle est comme du pain, elle est faite pour être mangée », ça ne tient pas debout ! Jamais aucun sage, aucun maître de vie spirituelle, aucun fondateur de religion n’a parlé comme ça !
Nous sommes renvoyés à ce qu’il y a de plus élémentaire dans le christianisme, et dans la vie humaine.
Le pain, c’est d’abord la base et le symbole même de notre civilisation. Depuis la Mésopotamie et Sumer, nous appartenons à la civilisation du pain comme d’autres à celle du riz ou du maïs. Le pétrin du boulanger est comme le creuset de notre vie, et de notre vie commune : matière vivante, la pâte est travaillée pour donner la vie à toute une communauté. Ce pain, doré et croustillant, la boulangère ou la mère de famille ne le fait pas pour elle toute seule. Le pain est fait pour toute une famille, tout un village, tout un quartier. Quand il n’y a plus de boulanger dans un village, ce n’est pas bon signe. Le pain, c’est le symbole de la vie, et de la vie partagée. Dans le pain, il y a toujours, d’une manière ou d’une autre, de l’amour.
Mais il y a pain et pain. On ne mange pas de n’importe quel pain (« Moi, Monsieur, je ne mange pas de ce pain-là ! »). Dis-moi de quel pain tu manges, je te dirai qui tu es.
Le chrétien est quelqu’un qui mange le pain du Christ. Il se nourrit du Christ. Qu’est-ce que cela veut dire ?
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